L’Ordre du Dragon

Créé au temps des croisades contre l’Empire ottoman, cet ordre de chevalerie s’illustre par les personnages de haut rang qui en firent partie. Parmi eux, un certain Dracula arbora l’insigne de cet ordre : un dragon étranglé.

L’Ordre du Dragon remonte à 1408 et s’inscrit dans une période où les souverains d’Europe rassemblaient des « combattants de Dieu ». Sa fondation par Sigismond de Luxembourg (1368-1437), alors roi de Hongrie, répondait à un double besoin de sécurité pour la famille royale et de défense de la chrétienté. Ainsi, dans une région menacée par les invasions ottomanes, Sigismond étendit son influence au point d’être élu Saint Empereur romain germanique en 1433. Alors que s’approchait la chute de l’Empire byzantin, le choix du Dragon comme emblème mérite que l’on s’y attarde.

Sigismond 1er. Huile sur bois d'Albrecht Dürer, 1512. Musée national germanique, Nuremberg

Sigismond Ier. Huile sur bois d’Albrecht Dürer, 1512. Musée national germanique, Nuremberg

Un symbole fort

Le Dragon représentait la bête démoniaque décrite dans l’Apocalypse de saint Jean, avec ses sept têtes et ses dix cornes (lire l’article sur Draco Magnus). Son corps rouge sang supportait Babylone, allégorie de tous les vices, représentée sous les traits d’une femme. La Societatis draconistratum, nom latin de l’Ordre, n’entendait pas magnifier par ce choix la force de la créature infernale, mais plutôt l’utiliser comme symbole de l’ennemi à terrasser. L’emblème choisi présentait donc un dragon enroulant sa queue autour de son cou, dans une attitude de soumission. Une croix rouge dessinée sur son dos justifiant la posture du monstre vaincu. On sait par ailleurs que la croix rouge sur champ argent est celle de saint Georges.

L’évolution du symbole

Les membres de l’Ordre du Dragon se devaient de porter leurs insignes en permanence. En plus de l’honneur d’appartenir à un groupe si noble, celui qui arborait ce symbole se présentait comme garant des valeurs chevaleresques. Il s’agissait, à l’origine, d’un collier auquel était suspendu l’emblème du dragon vaincu. Ce signe distinctif fut  ramené ensuite à un format plus modeste au centre d’une croix émaillée. Avec l’élargissement de l’Ordre, on déclina le symbole pour chacune des classes, dont certaines prirent des devises comme Justus et paciens (« Juste et apaisé »). Le dragon resta bien sûr au centre des décorations comme symbole de ralliement.

Reconstitution provenant d'un musée autrichien.

Reconstitution provenant d’un musée autrichien.

Un corps d’élite

Parmi les membres fondateurs se distinguaient les rois de Pologne, du Danemark, de Naples et de Serbie, le prince de Lituanie ou le duc d’Autriche. Le rôle politique de cette noblesse européenne conférait donc à l’Ordre du Dragon une aura et un pouvoir hors du commun. Vingt ans plus tard, Sigismond décida de renforcer son influence en accueillant de nouveaux membres. C’est ainsi que, en 1431, le prince de Valachie, le voïvode Vlad II, put accéder au trône grâce à son ralliement. Il fut dès lors surnommé Dracul (dérivé du latin draco signifiant « le dragon »). Son fils, le futur Vlad III, initié dans l’Ordre dès l’âge de cinq ans, n’est autre que le fameux Dracula, réputé pour sa cruauté et transformé en vampire dans le roman de Bram Stoker.

Vlad III Basarab, surnommé "l'Empaleur" (1430/36-1476). Portait du XVe siècle.

Vlad III Basarab, surnommé « l’Empaleur » (1430/36-1476). Portait du XVe siècle.

Un combat politique et religieux

En ce début de XVe siècle, l’expansion turque inquiétait la chrétienté au point d’entraîner un rapprochement entre églises d’Orient et d’Occident, afin d’unir leurs efforts. Le combat des membres de l’Ordre du Dragon s’inscrit dans ce que les historiens appellent les croisades tardives. Sigismond avait déjà connu un cuisant échec face aux Turcs, lors de la défaite de Nicopolis en 1396. Il s’agissait désormais de faire triompher leur foi sur un double front car, en plus de la menace ottomane, un schisme au sein de l’Église catholique était à redouter. En effet, un courant hétérodoxe venu de Bohême, le hussitisme, menaçait l’intégrité de l’Église en Europe centrale. Entre pouvoir spirituel et politique, le sort des différentes nations de la région reposait donc entre les griffes des chevaliers du Dragon.

Le crépuscule de l’Ordre

A la mort de l’Empereur Sigismond, en 1437, le bilan de sa longue lutte contre les Ottomans était mitigé. La Hongrie a payé cher ces années de combat et le domaine royal lui-même a dû être largement amputé. L’influence de l’Ordre du Dragon s’effondra rapidement, son souvenir ne subsistant plus qu’à travers son insigne. En effet, certaines familles nobles l’avaient intégré à leur blason, comme il était de coutume de garder dans ses armoiries une trace d’un passé héroïque.

Armoiries de la famille Csapy : l'écu est entouré du dragon de l'Ordre.

Armoiries de la famille Csapy : l’écu est entouré du dragon de l’Ordre.

Renaissances de l’Ordre jusqu’à aujourd’hui

L’attrait pour les ordres de chevalerie et l’imaginaire de distinction médiévale qu’ils véhiculent n’ont pas laissé l’Ordre du Dragon dans l’oubli. C’est au Vietnam qu’il renaquit au temps de l’empire colonial, en 1886, sous le nom d’Ordre du Dragon d’Annam ou « Ordre du Dragon vert ». Inspiré par son ancêtre médiéval, il fut créé par l’Empereur Dong Khanh et appartient encore aujourd’hui à la dynastie Nguyen. Cet ordre était également reconnu en France, comme distinction décernée par le Ministère des Colonies. De nos jours, les amateurs de jeux de rôles font fleurir les ordres à l’image du dragon, renouvelant encore les insignes et les codes d’attribution au sein de chaque guilde.

Histoire de la Dragonologie – 2ème partie : L’expansion scientifique

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Plusieurs ouvrages ont fait date dans l’histoire de la Dragonologie ancienne. Pour s’initier en douceur, on peut commencer par Le Livre des serpents du suisse Conrad Gessner (ou Konrad von Gesner) (1516-1567) et l’Histoire des serpents et des dragons d’Ulysse Aldrovandi (1522-1605). Bien qu’intéressant, le premier propose une classification un peu réductrice des dragons : il distingue simplement les serpents géants sans ailes, les serpents ailés et enfin les véritables dragons. Dans le second livre, les différentes espèces de dragons sont recensées avec un plus grand luxe de détails.

Illustration du Livre des serpents, Schlangenbuch 1589, Conrad Gesner (1516-1567), Paris © Bibliothèque centrale du Muséum national d’Histoire naturelle.

Illustration du Livre des serpents, Schlangenbuch 1589, Conrad Gesner (1516-1567), Paris
© Bibliothèque centrale du Muséum national d’Histoire naturelle.

La Renaissance : Dragonologie et grimoires de référence

Konrad von Gesner (1516-1567), grand naturaliste suisse, a écrit sur la linguistique, la philosophie, la pharmacopée et la médecine, la bibliographie, la minéralogie, la zoologie et la botanique. Dans son Livre des serpents, il affirme, assez désabusé :

« On trouve rarement cet animal (le dragon) si ce n’est dans les pays les plus chauds de la Terre. Et cependant, ce genre de serpent a habité dans nos Alpes mêmes. »


La science mondiale doit beaucoup à Ulysse Aldrovandi (1522-1605), professeur d’Histoire naturelle dans la très célèbre université de Bologne, qui consacra sa vie et sa fortune à l’étude des dragons. Tout au long de son existence, il collectionna des renseignements sur les dragonnidés, puis les réunis dans son Histoire naturelle des serpents et dragons qui fut publiée après sa mort. Il acquit de nombreux objets dragonnesques qu’il garda dans son cabinet de curiosités, et fit peindre 8000 tableaux représentant toutes sortes d’animaux, y compris les dragons. On s’accorde aujourd’hui à penser qu’Ulysse Aldrovandi est l’inventeur de ce qu’on appellera plus tard un musée d’Histoire Naturelle. La chose qui donne le plus de regret est que son cabinet n’a pas été sauvegardé en entier : on y trouvait un dragon éthiopien séché.


Olaus Magnus (1490-1557), de son vrai nom Olaf Stor, était un religieux et un écrivain suédois. Sa vocation d’évêque le destinait plutôt à devenir sauroctone. Il sut affronter le destin et devint un dragonologue des plus distingués. Il était d’ailleurs, pour le XVIe siècle, un homme moderne, puisqu’il introduisit, dans la science des dragons, de subtiles spécialités. Lui même s’intéressa principalement aux dragons marins qu’il a représentés sur une carte gigantesque, avec une recherche esthétique qui est, à elle seule, un hommage. La Carta Marina (en français, Carte Marine) est une carte géographique représentant les mers, les côtes et l’intérieur des terres des pays encerclant la Mer Baltique. Sont également représentés : le nord de l’Ecosse, les Shetland, la légendaire île de Thulé, les îles Féroé et l’Islande. Ses dimensions sont : 1,70 m en longueur et 1.25 m en hauteur. La carte est le résultat d’un long travail qui s’étala sur une période de 12 ans. La première copie fut imprimée à Venise en 1539. Olaus Magnus nous a appris l’existence des serpents de mer géants et des homards gigantesques qui peuvent étrangler un nageur, ainsi que celle de dragons aux noms charmants : Ziphius et Phissider.

La Carta Marina d'Olaus Magnus

La Carta Marina d’Olaus Magnus


Pasteur, historien, théologien et topographe, Johannès Stumpf (1500-1578) était également un dragonologue helvète qui sut faire de fines observations : en 1548 il publia à Zurich une Chronique dans laquelle il proposait une première « classification » des dragons, considérés comme des animaux réels : il distingua le Track (Drache) qui vit dans des grottes sous les sommets, et le Lindwurm qui hante les gorges des torrents :

« Car même si les Alpes sont refroidies par des neiges éternelles, en de nombreux endroits exposés au midi, leurs roches et cavernes bénéficient de l’ensoleillement. Là vit le dragon (Track) le plus souvent dans les cavernes bien exposées à la chaleur du soleil, et il peut ainsi se réchauffer. »


Ambroise Paré (1510-1590), premier chirurgien du roi, grand explorateur du corps humain suspendit à la fin de sa vie ses voyages pour se consacrer à la rédaction de ses ouvrages. Dans son livre intitulé Des animaux et de l’excellence de l’homme, il désira tracer une cartographie des êtres, des plus humbles aux plus difformes, les considérant égaux comme œuvre de Dieu, à la fois parfaitement fabuleux et totalement frères. Cette œuvre fut rééditée en 2005 sous le titre Monstres et Prodiges, et regroupe les trois ouvrages d’Ambroise Paré : Des animaux et de l’excellence de l’homme, Monstres et prodiges et Le discours de la Licorne.


C’est grâce au dragonologue italien Giacomo Bosio (1544-1627) que nous connaissons le combat du Chevalier Dieudonné (ou Déodat) de Gozon contre un dragon. Ce qu’il nous en apprend n’est pas à la gloire du prétendu preux, car celui-ci a bien affronté le dragon de l’Ile de Rhodes, mais il était aidé par plusieurs molosses bien dressés :

« Il y avait en l’île de Rhodes un grand dragon en une caverne, d’où il infectait l’air de sa puanteur et tuait les hommes et les bêtes qu’il pouvait rencontrer ; était défendu à tous les religieux sous peine de privation de l’habit, et à tous sujets de passer en ce lieu-là, qui s’appelait Maupas. »

Le dragon de l'Île de Rhodes vu par Athanasius Kircher (Mundus subterraneus, Amsterdam, 1665).

Le dragon de l’Île de Rhodes vu par Athanasius Kircher (Mundus subterraneus, Amsterdam, 1665).


Renward Cysat (1545-1614) était un dragonologue suisse qui s’intéressa beaucoup aux causes et aux effets :

« On croit que, lorsque ces dragons sont vus dans le ciel, cela présage une guerre ou un incendie ; dans les eaux, la peste ou une inondation. »


De la Renaissance au siècle des Lumières

Léopold Cysat (1601-1663) était le petit fils de Renward Cysat et il continua les recherches de son grand père, faisant un inventaire systématique de la gent dragonnesque helvète, dans sa Description du fameux lac de Lucerne et des Quatre Cantons. Ce livre a ainsi élaboré à partir de nombreux témoignages tels que celui-ci :

« Je vis un dragon brillant prendre son envol, d’un trou d’un grand rocher du mont Pilate, ses ailes étaient agitées avec beaucoup de vitesse, son corps était long, de même que sa queue et son cou. Sa tête avait la figure de celle du serpent, avec des dents ; lorsqu’il volait, il sortait de son corps des étincelles tout à fait semblables à celle que jette un fer rouge quand les forgerons le frappent sur l’enclume. »


Antoine Furetière (1619-1688), écrivain dont le sérieux n’est pas à démontrer, rédigea son propre dictionnaire. Voici la définition qu’il donne du mot « dragon » :

«DRAGON. subst. masc. Serpent monstrueux qui est parvenu avec l’âge à une prodigieuse grandeur. Les anciens Naturalistes se sont esgayez à descrire ce monstre en diverses manières. Ils luy ont donné des ailes, des crestes, des pieds & des testes de differentes figures, jusques là qu’Aldroandres fait mention d’un dragon né de l’accouplement d’une aigle avec une louve, qui avoit de grandes ailes, une queuë de serpent, & des pieds de loup. Mais il est le premier à dire avec les Modernes que c’est un animal chimerique, si on le pretend faire differer d’un vieux serpent. Quelques uns même ont dit qu’il y a en Afrique des dragons volans qui peuvent emporter un homme & un cheval, & qu’ils emportent souvent des vaches. Albert le Grand fait mention d’un dragon de mer, semblable à un serpent, qui a les ailes courtes, le mouvement très-prompt, & si venimeux, qu’il fait mourir par sa morsure. On appelle aussi la Vive Dragon de mer, ou Araignée de mer. […]

DRAGON, en termes de l’Ecriture, se dit figurement du Serpent infernal, de Sathan. Ainsi quand il est dit dans l’Apocalypse, Chap. 12. que le Dragon & ses anges combattoient contre St. Michel, il est expliqué aussi-tost, que c’étoit le Diable & Sathan. […]

DRAGON, se dit hyperboliquement de ceux qui font les meschants & les difficiles à contenir dans le devoir. On le dit même des femmes & des enfants. Cette femme crie toûjours son mari, c’est un vray dragon. Cet enfant est un vray dragon, il est incorrigible & mutin. […]»

Dictionnaire d'Antoine Furetière

Dictionnaire universel d’Antoine Furetière


Gaspard de Grasse (1622-1685), chanoine de Cavaillon, écrivit des chroniques qu’il baptisa Livre de raison. Il y raconte des faits qui se sont déroulés en 1650. Trois chasseurs se rendirent compte qu’un animal, qu’ils n’identifièrent pas d’abord, bougeait dans les buissons. L’un d’eux fit feu puis tomba aussitôt en syncope :

[Les deux autres s’approchèrent] de la bête qui venait d’expirer, et virent une bête de cinq pans (1m20) de long, qui avait la tête d’un chat, dont le corps plus gros depuis la tête jusqu’à la queue avait trois pans, et la queue en avait deux, avec quatre pieds d’environ deux bons doigts de longueur chacun, elle avait encore deux ailes dessus chaque épaule et devant [,,,]. Ils l’écorchèrent et vendirent la peau à M. Rampale, apothicaire de l’Isle, après quoi ils l’enterrèrent le long de la Sorgue. Voilà qui confirme le miracle de la saint Véran, puisqu’on vient de tuer une telle bête, il pouvait bien y avoir une plus féroce à l’époque de saint Véran. »

Ce petit dragon devait appartenir à la catégorie des Tazelwurm, ou Arassas. Précisons que celui des chasseurs qui avait tiré la balle s’alita le soir même, souffrit pendant une année au bout de laquelle il mourut.


Happel Eberard Werner (1647-1690), écrivain et dragonologue allemand, disait dans ses Relations curieuses :

« [tout prouvait] qu’il y eut et qu’il y a encore des dragons. Les abîmes montagneux de la Suisse sont loin d’en être entièrement délivré, et je crois qu’il nous reste toujours bien en mémoire ce qui nous a été rapporté sur de tels monstres destructeurs apparus en Toscane et en Prusse il y a environ deux à trois ans. »


Le siècle des Lumières : Expéditions draconiques

C’est finalement au XVIIIe siècle que la Dragonologie, profitant de l’essor de tous les savoirs, entra véritablement dans le champ de la science. Les dragonologues se lancèrent dans de vastes expéditions et allèrent étudier les dragons dans leur environnement, parfois au péril de leur vie. C’est à ce prix qu’ils purent enfin rédiger des ouvrages rigoureux, dépeignant avec exactitude la morphologie et les mœurs des dragons.


Jacob Scheuchzer (1672-1733) disait en 1723, alors que débutait le « siècle des Lumières » :

« On ne peut s’empêcher de convenir qu’il n’y ait en Suisse de véritables dragons. J’en ai rapporté trop d’exemples et trop de preuves pour qu’on puisse en douter. Je ne déciderais pas, cependant si on doit les regarder comme un genre d’animal particulier ou comme des monstres de serpents ainsi que plusieurs l’ont prétendu. »

Dessin d'un dragon dont on avait signalé l'apparition dans les Alpes en 1660

Dessin d’un dragon dont on avait signalé l’apparition dans les Alpes en 1660


Dom Augustin Calmet (1672-1755), abbé bénédictin dont l’érudition faisait autorité en son temps, eut la chance immense de posséder une tête de dragon. Voici ce qu’il dit dans son ouvrage Lettre sur les dragons volants :

« Nous avons une partie de la tête d’un dragon volant qui nous a été apportée d’un ermitage dédié à sainte Anne, près du village de Godoncourt, assez près de Monthureux-sur-Saône. Il y a environ 80 ans qu’il parut en ce lieu 2 dragons volants d’une grandeur extraordinaire qui causèrent dans le canton de très grands dommages, enlevant les animaux domestiques, attaquant les hommes mêmes et emportant leurs proies dans leur repère. »


Luigi Bossi (1758-1835), dragonologue italien, eut fort à faire pour persuader ses contemporains épris de philosophie de l’existence des dragons :

« Les raisons pour lesquelles on ne trouve plus d’éléphants en Sibérie, plus de Bisons en Hercynie, plus de loups en Angleterre, plus de vipère à Malte, peuvent en partie apaiser la curiosité de ceux qui cherchent le motif (de l’absence actuelle) des basilics, des dragons ou des serpents ailés, au moins sur notre continent »

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Histoire de la Dragonologie – 1ère partie : Les origines

Depuis toujours les Hommes se passionnent pour les dragons et tentent de percer les mystères de ces fabuleuses créatures. La Dragonologie, discipline vouée à l’étude des dragons, a ainsi traversé les millénaires.

Définir la Dragonologie

Formée à partir du latin draco (« dragon ») et du grec logos (« science »), la Dragonologie est la discipline qui se consacre à l’étude des dragons sous toutes ses formes : histoire, anatomie, classement des espèces, étude des mœurs ou des pouvoirs, étude de leur milieu naturel, de leur cycle de vie, etc. La popularité croissante des dragons et le développement de l’intérêt qu’on leur porte ont favorisé la publication d’articles qui n’ont aucune base fantastique. Si cette science existe depuis fort longtemps, le terme n’est en usage que depuis le XVIe siècle : le grand dragonologue autrichien August Drako (1526-1598) fut le premier à se désigner ainsi lui-même. La plupart des dragonologues n’ont pas fait d’études spécifiques : ils ont simplement décidé de se consacrer à ce domaine et ont gagné leurs galons sur le tas.

Dragon de Marduk de la Porte d'Ishtar à Babylone. Symbole animal de Marduk, le Mušhuššu ou "serpent-dragon". Représentation en briques , datant de la période néo-babylonienne.

Dragon de Marduk de la Porte d’Ishtar à Babylone. Symbole animal de Marduk, le Mušhuššu ou « serpent-dragon ». Représentation en briques , datant de la période néo-babylonienne.

L’Antiquité : un savoir de récits

Ainsi, dans l’Antiquité, à Babylone puis à Athènes et à Rome, on prétendait que certaines sorcières étaient si instruites des mœurs des dragons qu’elles pouvaient communiquer avec eux et les faire obéir. Ce savoir ancestral s’est transmis au fil des siècles, mais il est toujours demeuré occulte : rares sont les dragonologues ou les ouvrages de Dragonologie dont la réputation est parvenue jusqu’au grand public. Les dragons étaient décris dans les récits de l’Antiquité.


Ainsi, Aristote (381-322 av. J.C.) écrivit :

« Il est vrai que si le basilic peut nous donner la mort, nous pouvons lui rendre la pareille en lui présentant la surface polie d’un miroir : les vapeurs empoisonnées qu’il lance de ses yeux iront frapper la glace, et par réflexion, lui renverront la mort qu’il voulait donner. »


Ovide (43 av. J.C. – 17 ap. J.C.), poète latin, décrivit dans ses Métamorphoses le dragon qu’affronta Cadmos :

« un dragon, né de Mars, paré d’une crête d’or extraordinaire. Ses yeux brillent et flamboient, tout son corps est gonflé de venin, et ses trois langues vibrent derrière une triple rangée de dents. […] Le dragon à la couleur d’azur sortit la tête de l’antre profond et émit des sifflements effrayants. […]

Le monstre noue et tord en les enroulant ses anneaux écailleux ; il rampe en bonds sinueux, dessinant des arcs immenses, puis soulevant plus que la moitié de son corps dans l’air léger, il toise tout le bois.

[Cadmos réussit à lui planter un javelot dans le corps.]

Le fer resta fiché dans ses os. Mais à ce moment, lorsque, à sa fureur ordinaire s’ajouta cette cause nouvelle, sa gorge se gonfla à pleines veines, une écume blanchâtre s’écoula de sa gueule empestée ; la terre, raclée par ses écailles, résonne, et l’haleine noire qui sort de sa bouche infernale souille l’air et l’infecte. Tantôt il s’enroule dans l’immense anneau de ses spires, parfois il se dresse plus droit qu’un tronc majestueux, tantôt, impétueusement, tel un fleuve entraîné par des orages, il est emporté et de son poitrail renverse les forêts sur son passage. »

Hendrick Goltzius (1558-1617), Cadmus tuant le dragon, vers 1589. Kunsthalle, Hambourg.

Hendrick Goltzius (1558-1617), Cadmus tuant le dragon, vers 1589. Kunsthalle, Hambourg.


Lucain Marcus Annaeus Lucanus (39-65), contemporain de Néron, apostropha ainsi les dragons de Libye :

« Vous fendez avec des ailes les hautes régions de l’air, vous suivez des troupeaux entiers, vous étouffer les puissants taureaux dans l’étreinte de vos replis ; l’éléphant lui même n’est pas garanti par sa grosseur : vous donnez à tout la mort et vous n’avez pas besoin pour tuer de poison. »


Le Moyen-Âge : moines, chevaliers et savants

Au Moyen-Âge, la Dragonologie était pratiquée en secret dans l’ombre des bibliothèques de monastères : elle devint alors une discipline purement théorique, car les moines n’avaient ni les ressources, ni les compétences nécessaires pour aller étudier leur objet sur le terrain. Parallèlement, certains nobles s’intéressèrent de près aux dragons et rédigèrent même des ouvrages sur le sujet. Mais leur objectif était le plus souvent guerrier et leurs travaux étaient généralement des études anatomiques qui recensaient les points faibles permettant de vaincre le dragon.

Saint Georges terrassant le dragon, mosaïque byzantine portative, Musée du Louvre, première moitié du XIVe siècle

Saint Georges terrassant le dragon, mosaïque byzantine portative, Musée du Louvre, première moitié du XIVe siècle


On doit au savant dragonologue Guillaume Le Clerc de Normandie, entre autres, son livre Le Bestiaire divin, écrit en 1210 dans lequel il donne la description d’un dragon marin très méchant et très efficace, la Serre :

« Il existe une bête que l’on nomme Serre, dont le gîte ne se trouve pas sur terre, mais au fond de la vaste mer : cette bête n’est pas de petite taille, mais au contraire son corps est très volumineux : elle possède de grandes ailes. Quand elle voit des nefs et des dromons faire voile sur la mer, elle déploie ses ailes au vent et fait voile de toute la vitesse dont elle est capable en direction du navire. »


Au XIIIe siècle, Pierre de Beauvais parlait certes de dragons mais surtout d’un animal très étonnant, le Caladre, qui ressemble assez à la Wyverne puisqu’il annonce la mort d’un malade. Pourtant, les pouvoirs de cet animal vont bien au-delà du simple diagnostic :

« Si la maladie n’est pas parmi les mortelles, le Caladre regarde le malade et rassemble en lui même toutes les infirmités de celui-ci, puis il s’envole dans les airs en direction du Soleil et là, il brûle toutes les infirmités du malade, les disperses, et c’est ainsi que le malade guéri. »

Voilà qui annonçait déjà l’héliothérapie (traitement médical utilisant les rayons du soleil).

Représentation d'un dragon figurant sur un feuillet d'un registre des délibérations communales de Draguignan (1552-1563)

Représentation d’un dragon figurant sur un feuillet d’un registre des délibérations communales de Draguignan (1552-1563)


Jacques de Voragines (1228-1298) était un chroniqueur italien du Moyen-Âge, archevêque de Gênes et auteur de la Légende dorée, célèbre ouvrage racontant la vie d’un grand nombre de saints et saintes, martyrs chrétiens, ayant subi les persécutions des Romains. Dans cet ouvrage il explique ainsi la présence de dragons dans de nombreuses processions :

« Dans certaines églises, et surtout dans les églises de la Gaule, on a pour coutume et porter derrière la croix un dragon dont la queue est gonflée, car elle est remplie de paille ou d’une matière semblable, pendant les deux premiers jours ; le troisième jour, on le porte derrière la croix, la queue vide. Ce qui signifie que le diable a régné sur le monde le premier jour, c’est à dire le temps avant la loi, et le second jour qui représente le temps sous la loi, mais le troisième jour, qui est le temps de la grâce due à la passion du Christ, il a été expulsé de son royaume. Et, dans cette procession comme dans les autres, nous implorons particulièrement le patronage de tous les saints. »

Ceci est une allégorie : la religion chrétienne a encore et toujours besoin de montrer qu’elle peut vaincre le dragon primordial et païen.


Al Qazwini (1203-1283) fut l’auteur, vers 1250, du livre nommé Les merveilles des choses créées et les curiosités des choses existantes. Dans cet ouvrage, il faisait le point sur ce que le monde musulman de son époque connaissait en matière de dragons, mais aussi dans des domaines tels que l’astronomie et la géographie. Son œuvre connut un vif succès et fut traduite en turc, en persan et en chinois. Elle demeure une référence incontournable.


 Marco Polo (1254-1324) avait tant de cordes à son arc que ce n’est pas en tant que dragonologue qu’il est le plus réputé. Pourtant il suffit de lire ces lignes, écrites à propos de sa traversée des steppes de l’Asie centrale, pour lui rendre justice. Il rapporte ici ce qu’il décrit comme des « serpents énormes » :

« La tête est très grosse, et les yeux sont plus gros qu’une grosse miche de pain. La bouche est assez grande pour avaler un homme entier et est garnie de dents. Et, en somme, ils sont tellement acharnés (mangeurs de viande) et prospectifs, et sont si atrocement laids, que tout homme et toute bête doivent se tenir dans la crainte et trembler devant eux. »

Les voyages de Marco Polo, partie 2, chapitre 40


 Etterlin Petermann (1440-1509), chancelier de Lucerne, est connu pour avoir été un des premiers dragonologues suisses. Il témoigna entre autre dans ses chroniques du passage d’un dragon sous le pont de la Reuss le jour du 26 mai 1499 :

« Aux toutes premières heures du 26 mai 1499, on put assister à un curieux spectacle dans les rues de Lucerne: après un terrible orage, quelle ne fut pas la stupéfaction des passants de voir émerger un énorme dragon sans ailes des eaux tourbillonnantes de la Reuss, près du Spreuerbrücke. On pense que la créature avait été surprise par l’orage qui dévalait les pentes du Pilate et avait été entraînée malgré elle dans le torrent Krienbach qui se jette dans la Reuss près de l’église des Jésuites. »

Pettermann regretta que personne n’ait réussi à le capturer « en raison de la vélocité de sa nage et de la profondeur insondable de l’eau à cet endroit. » Plusieurs bourgeois honorables et lettrés garantirent l’authenticité de l’événement.

Décor marginal : dragon. Guiard des Moulins, Bible historiale France, Paris, premier quart du XIVe siècle Paris, BNF, département des Manuscrits, Français 160, fol. 239

Décor marginal : dragon. Guiard des Moulins, Bible historiale. France, Paris, premier quart du XIVe siècle. Paris, BNF, département des Manuscrits, Français 160, fol. 239

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