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Plusieurs ouvrages ont fait date dans l’histoire de la Dragonologie ancienne. Pour s’initier en douceur, on peut commencer par Le Livre des serpents du suisse Conrad Gessner (ou Konrad von Gesner) (1516-1567) et l’Histoire des serpents et des dragons d’Ulysse Aldrovandi (1522-1605). Bien qu’intéressant, le premier propose une classification un peu réductrice des dragons : il distingue simplement les serpents géants sans ailes, les serpents ailés et enfin les véritables dragons. Dans le second livre, les différentes espèces de dragons sont recensées avec un plus grand luxe de détails.
![Illustration du Livre des serpents, Schlangenbuch 1589, Conrad Gesner (1516-1567), Paris © Bibliothèque centrale du Muséum national d’Histoire naturelle.](https://dragonsencyclopedie.wordpress.com/wp-content/uploads/2014/11/gesner-livre-des-serpents.jpg?w=584)
Illustration du Livre des serpents, Schlangenbuch 1589, Conrad Gesner (1516-1567), Paris
© Bibliothèque centrale du Muséum national d’Histoire naturelle.
La Renaissance : Dragonologie et grimoires de référence
Konrad von Gesner (1516-1567), grand naturaliste suisse, a écrit sur la linguistique, la philosophie, la pharmacopée et la médecine, la bibliographie, la minéralogie, la zoologie et la botanique. Dans son Livre des serpents, il affirme, assez désabusé :
« On trouve rarement cet animal (le dragon) si ce n’est dans les pays les plus chauds de la Terre. Et cependant, ce genre de serpent a habité dans nos Alpes mêmes. »
La science mondiale doit beaucoup à Ulysse Aldrovandi (1522-1605), professeur d’Histoire naturelle dans la très célèbre université de Bologne, qui consacra sa vie et sa fortune à l’étude des dragons. Tout au long de son existence, il collectionna des renseignements sur les dragonnidés, puis les réunis dans son Histoire naturelle des serpents et dragons qui fut publiée après sa mort. Il acquit de nombreux objets dragonnesques qu’il garda dans son cabinet de curiosités, et fit peindre 8000 tableaux représentant toutes sortes d’animaux, y compris les dragons. On s’accorde aujourd’hui à penser qu’Ulysse Aldrovandi est l’inventeur de ce qu’on appellera plus tard un musée d’Histoire Naturelle. La chose qui donne le plus de regret est que son cabinet n’a pas été sauvegardé en entier : on y trouvait un dragon éthiopien séché.
Olaus Magnus (1490-1557), de son vrai nom Olaf Stor, était un religieux et un écrivain suédois. Sa vocation d’évêque le destinait plutôt à devenir sauroctone. Il sut affronter le destin et devint un dragonologue des plus distingués. Il était d’ailleurs, pour le XVIe siècle, un homme moderne, puisqu’il introduisit, dans la science des dragons, de subtiles spécialités. Lui même s’intéressa principalement aux dragons marins qu’il a représentés sur une carte gigantesque, avec une recherche esthétique qui est, à elle seule, un hommage. La Carta Marina (en français, Carte Marine) est une carte géographique représentant les mers, les côtes et l’intérieur des terres des pays encerclant la Mer Baltique. Sont également représentés : le nord de l’Ecosse, les Shetland, la légendaire île de Thulé, les îles Féroé et l’Islande. Ses dimensions sont : 1,70 m en longueur et 1.25 m en hauteur. La carte est le résultat d’un long travail qui s’étala sur une période de 12 ans. La première copie fut imprimée à Venise en 1539. Olaus Magnus nous a appris l’existence des serpents de mer géants et des homards gigantesques qui peuvent étrangler un nageur, ainsi que celle de dragons aux noms charmants : Ziphius et Phissider.
![La Carta Marina d'Olaus Magnus](https://dragonsencyclopedie.wordpress.com/wp-content/uploads/2014/11/olaus-magnus-carta-marina.jpeg?w=1085&h=804)
La Carta Marina d’Olaus Magnus
Pasteur, historien, théologien et topographe, Johannès Stumpf (1500-1578) était également un dragonologue helvète qui sut faire de fines observations : en 1548 il publia à Zurich une Chronique dans laquelle il proposait une première « classification » des dragons, considérés comme des animaux réels : il distingua le Track (Drache) qui vit dans des grottes sous les sommets, et le Lindwurm qui hante les gorges des torrents :
« Car même si les Alpes sont refroidies par des neiges éternelles, en de nombreux endroits exposés au midi, leurs roches et cavernes bénéficient de l’ensoleillement. Là vit le dragon (Track) le plus souvent dans les cavernes bien exposées à la chaleur du soleil, et il peut ainsi se réchauffer. »
Ambroise Paré (1510-1590), premier chirurgien du roi, grand explorateur du corps humain suspendit à la fin de sa vie ses voyages pour se consacrer à la rédaction de ses ouvrages. Dans son livre intitulé Des animaux et de l’excellence de l’homme, il désira tracer une cartographie des êtres, des plus humbles aux plus difformes, les considérant égaux comme œuvre de Dieu, à la fois parfaitement fabuleux et totalement frères. Cette œuvre fut rééditée en 2005 sous le titre Monstres et Prodiges, et regroupe les trois ouvrages d’Ambroise Paré : Des animaux et de l’excellence de l’homme, Monstres et prodiges et Le discours de la Licorne.
C’est grâce au dragonologue italien Giacomo Bosio (1544-1627) que nous connaissons le combat du Chevalier Dieudonné (ou Déodat) de Gozon contre un dragon. Ce qu’il nous en apprend n’est pas à la gloire du prétendu preux, car celui-ci a bien affronté le dragon de l’Ile de Rhodes, mais il était aidé par plusieurs molosses bien dressés :
« Il y avait en l’île de Rhodes un grand dragon en une caverne, d’où il infectait l’air de sa puanteur et tuait les hommes et les bêtes qu’il pouvait rencontrer ; était défendu à tous les religieux sous peine de privation de l’habit, et à tous sujets de passer en ce lieu-là, qui s’appelait Maupas. »
![Le dragon de l'Île de Rhodes vu par Athanasius Kircher (Mundus subterraneus, Amsterdam, 1665).](https://dragonsencyclopedie.wordpress.com/wp-content/uploads/2014/11/le-dragon-de-lc3aele-de-rhodes-vu-par-athanasius-kircher-mundus-subterraneus-amsterdam-1665.jpg?w=584&h=279)
Le dragon de l’Île de Rhodes vu par Athanasius Kircher (Mundus subterraneus, Amsterdam, 1665).
Renward Cysat (1545-1614) était un dragonologue suisse qui s’intéressa beaucoup aux causes et aux effets :
« On croit que, lorsque ces dragons sont vus dans le ciel, cela présage une guerre ou un incendie ; dans les eaux, la peste ou une inondation. »
De la Renaissance au siècle des Lumières
Léopold Cysat (1601-1663) était le petit fils de Renward Cysat et il continua les recherches de son grand père, faisant un inventaire systématique de la gent dragonnesque helvète, dans sa Description du fameux lac de Lucerne et des Quatre Cantons. Ce livre a ainsi élaboré à partir de nombreux témoignages tels que celui-ci :
« Je vis un dragon brillant prendre son envol, d’un trou d’un grand rocher du mont Pilate, ses ailes étaient agitées avec beaucoup de vitesse, son corps était long, de même que sa queue et son cou. Sa tête avait la figure de celle du serpent, avec des dents ; lorsqu’il volait, il sortait de son corps des étincelles tout à fait semblables à celle que jette un fer rouge quand les forgerons le frappent sur l’enclume. »
Antoine Furetière (1619-1688), écrivain dont le sérieux n’est pas à démontrer, rédigea son propre dictionnaire. Voici la définition qu’il donne du mot « dragon » :
«DRAGON. subst. masc. Serpent monstrueux qui est parvenu avec l’âge à une prodigieuse grandeur. Les anciens Naturalistes se sont esgayez à descrire ce monstre en diverses manières. Ils luy ont donné des ailes, des crestes, des pieds & des testes de differentes figures, jusques là qu’Aldroandres fait mention d’un dragon né de l’accouplement d’une aigle avec une louve, qui avoit de grandes ailes, une queuë de serpent, & des pieds de loup. Mais il est le premier à dire avec les Modernes que c’est un animal chimerique, si on le pretend faire differer d’un vieux serpent. Quelques uns même ont dit qu’il y a en Afrique des dragons volans qui peuvent emporter un homme & un cheval, & qu’ils emportent souvent des vaches. Albert le Grand fait mention d’un dragon de mer, semblable à un serpent, qui a les ailes courtes, le mouvement très-prompt, & si venimeux, qu’il fait mourir par sa morsure. On appelle aussi la Vive Dragon de mer, ou Araignée de mer. […]
DRAGON, en termes de l’Ecriture, se dit figurement du Serpent infernal, de Sathan. Ainsi quand il est dit dans l’Apocalypse, Chap. 12. que le Dragon & ses anges combattoient contre St. Michel, il est expliqué aussi-tost, que c’étoit le Diable & Sathan. […]
DRAGON, se dit hyperboliquement de ceux qui font les meschants & les difficiles à contenir dans le devoir. On le dit même des femmes & des enfants. Cette femme crie toûjours son mari, c’est un vray dragon. Cet enfant est un vray dragon, il est incorrigible & mutin. […]»
![Dictionnaire d'Antoine Furetière](https://dragonsencyclopedie.wordpress.com/wp-content/uploads/2014/11/antoine-furetic3a8re-dictionnaire.jpg?w=500&h=690)
Dictionnaire universel d’Antoine Furetière
Gaspard de Grasse (1622-1685), chanoine de Cavaillon, écrivit des chroniques qu’il baptisa Livre de raison. Il y raconte des faits qui se sont déroulés en 1650. Trois chasseurs se rendirent compte qu’un animal, qu’ils n’identifièrent pas d’abord, bougeait dans les buissons. L’un d’eux fit feu puis tomba aussitôt en syncope :
[Les deux autres s’approchèrent] de la bête qui venait d’expirer, et virent une bête de cinq pans (1m20) de long, qui avait la tête d’un chat, dont le corps plus gros depuis la tête jusqu’à la queue avait trois pans, et la queue en avait deux, avec quatre pieds d’environ deux bons doigts de longueur chacun, elle avait encore deux ailes dessus chaque épaule et devant [,,,]. Ils l’écorchèrent et vendirent la peau à M. Rampale, apothicaire de l’Isle, après quoi ils l’enterrèrent le long de la Sorgue. Voilà qui confirme le miracle de la saint Véran, puisqu’on vient de tuer une telle bête, il pouvait bien y avoir une plus féroce à l’époque de saint Véran. »
Ce petit dragon devait appartenir à la catégorie des Tazelwurm, ou Arassas. Précisons que celui des chasseurs qui avait tiré la balle s’alita le soir même, souffrit pendant une année au bout de laquelle il mourut.
Happel Eberard Werner (1647-1690), écrivain et dragonologue allemand, disait dans ses Relations curieuses :
« [tout prouvait] qu’il y eut et qu’il y a encore des dragons. Les abîmes montagneux de la Suisse sont loin d’en être entièrement délivré, et je crois qu’il nous reste toujours bien en mémoire ce qui nous a été rapporté sur de tels monstres destructeurs apparus en Toscane et en Prusse il y a environ deux à trois ans. »
Le siècle des Lumières : Expéditions draconiques
C’est finalement au XVIIIe siècle que la Dragonologie, profitant de l’essor de tous les savoirs, entra véritablement dans le champ de la science. Les dragonologues se lancèrent dans de vastes expéditions et allèrent étudier les dragons dans leur environnement, parfois au péril de leur vie. C’est à ce prix qu’ils purent enfin rédiger des ouvrages rigoureux, dépeignant avec exactitude la morphologie et les mœurs des dragons.
Jacob Scheuchzer (1672-1733) disait en 1723, alors que débutait le « siècle des Lumières » :
« On ne peut s’empêcher de convenir qu’il n’y ait en Suisse de véritables dragons. J’en ai rapporté trop d’exemples et trop de preuves pour qu’on puisse en douter. Je ne déciderais pas, cependant si on doit les regarder comme un genre d’animal particulier ou comme des monstres de serpents ainsi que plusieurs l’ont prétendu. »
![Dessin d'un dragon dont on avait signalé l'apparition dans les Alpes en 1660](https://dragonsencyclopedie.wordpress.com/wp-content/uploads/2014/11/dessin-dun-dragon-dont-on-avait-signalc3a9-lapparition-dans-les-alpes-en-1660.jpg?w=465&h=460)
Dessin d’un dragon dont on avait signalé l’apparition dans les Alpes en 1660
Dom Augustin Calmet (1672-1755), abbé bénédictin dont l’érudition faisait autorité en son temps, eut la chance immense de posséder une tête de dragon. Voici ce qu’il dit dans son ouvrage Lettre sur les dragons volants :
« Nous avons une partie de la tête d’un dragon volant qui nous a été apportée d’un ermitage dédié à sainte Anne, près du village de Godoncourt, assez près de Monthureux-sur-Saône. Il y a environ 80 ans qu’il parut en ce lieu 2 dragons volants d’une grandeur extraordinaire qui causèrent dans le canton de très grands dommages, enlevant les animaux domestiques, attaquant les hommes mêmes et emportant leurs proies dans leur repère. »
Luigi Bossi (1758-1835), dragonologue italien, eut fort à faire pour persuader ses contemporains épris de philosophie de l’existence des dragons :
« Les raisons pour lesquelles on ne trouve plus d’éléphants en Sibérie, plus de Bisons en Hercynie, plus de loups en Angleterre, plus de vipère à Malte, peuvent en partie apaiser la curiosité de ceux qui cherchent le motif (de l’absence actuelle) des basilics, des dragons ou des serpents ailés, au moins sur notre continent »
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